Pour ce programme, j’ai été inspirée par le nom de l’ensemble, « Les Temps Dérobés » – quelque
chose d’indéfini, de fragile, comme entre deux mondes. Cela m’a conduit à une rêverie, à un désir
nostalgique. En réfléchissant à ce programme, le mot de « souvenir » me revenait toujours à l’esprit. Un mot à
double sens : le souvenir est une pensée vers un événement passé, tout comme sa matérialisation par l’objet
que l’on ramène de vacances. Mais au fond, cela évoque la même chose : à partir des moments signifiants et
des expériences que nous traversons, nous récoltons des souvenirs de couleur et de forme différentes qui
façonnent ce que nous sommes – des témoins d’un temps personnel et caché au reste du monde.
La première pièce de Mäntyjärvi convoque un souvenir ancien, l’innocence d’un enfant, ses espoirs et son
désir de sécurité. Ensuite, le texte de Shakespeare dans l’œuvre de Vaughan Williams évoque ce sommeil
paisible dont nous avons un jour fait l’expérience, plein d’imaginaire, mais qui nous rappelle que ce n’est
qu’un moment passager et qu’après, plus rien ne sera comme avant. Les jeux joyeux de l’enfance se
transforment inexorablement en problèmes et en difficultés auxquelles il faut faire face : les épreuves à venir
se font déjà sentir dans la pièce de Tormis où une chanson de jeu prend un tournant soudain plus sombre.
La pièce de Takemitsu Wind Horse, toute en harmonies grinçantes, nous emmène dans les turbulences de la
jeunesse, un temps où l’on doit trouver seul un sens à son existence. Les chœurs d’hommes et de femmes,
d’abords séparés, se rejoignent, ce que l’on peut comprendre comme un symbole de cette quête pour trouver
une personne avec qui partager notre vie. Le thème lancinant de la berceuse nous invite à laisser notre
enfance derrière nous. Dans la première version du premier mouvement des Trois chansons de Charles
d’Orléans de Debussy (une version presque tombée dans l’oubli) nous arrivons à un âge plus mur où l’on entend l’extase d’un homme amoureux.
The Gallant Weaver de MacMillan se place du point de vue d’une femme qui, le jour de son mariage, retrace
avec émotion les souvenirs de sa vie passée. Par un second texte de Shakespeare, Alfred Janson nous laisse
entrevoir un âge plus avancé, quand la vie se pave de mémoires innombrables du passé, quand le désir ou la
possibilité d’un changement nous a quitté. Un amour qui fut précieux emplit encore l’âme, même s’il ne vit
plus que dans les souvenirs. Pour finir, le dernier souvenir que l’on peut possiblement atteindre : une
description quasi symphonique de la mort dans la transcription pour chœur de Gottwald de l’Uhrlicht de la 2ème symphonie – » Resurrection » de Mahler.
• Die Stimme des Kindes
Jaakko Mäntyjärvi (né en 1963)
• The cloud capped towers
Ralph Vaughan-Williams (1872 – 1958)
• 3 Eesti Mängulaulu no. 3 Laevamäng
Veljo Tormis (1930 – 2017)
• Wind Horse
Tōru Takemitsu (1930 – 1996)
• Trois Chansons de Charles d’Orléans L. 92* I. Dieu! qu’il la fait bon regarder!
Version de 1898
Claude Debussy (1852 – 1918)
• The Gallant Weaver
James MacMillan (né en 1959)
• Sonnet 76
Alfred Janson (1937 – 2019)
• Urlicht
Gustav Mahler – transcritption par Clytus Gottwald

